L’utilité d’une petite flamme vacillante…
Dimanche soir, place de l’Ange à Namur.
Quelques citoyens, des gens ordinaires, ont répondu à l’appel du Collectif Citoyens
Solidaires de Namur. Une grande banderole ‘Save Aleppo’ est dépliée. Des bougies sont allumées. Comme dans le
proverbe devenu le slogan d’Amnesty, on allume des bougies pour ne pas maudire
l’obscurité. On allume des bougies quand il ne reste plus rien pour habiter le
monde et sa nuit que la flamme vacillante d’un peu d’humanité partagée, chaleureuse
et désarmée. Elle n’est pas bien vaillante dans son bougeoir de fortune, ma
petite flamme chancelante de militante du dimanche. Je ne connais personne. Je
me sens bidon, avec ma pancarte griffonnée à la hâte au marqueur noir sur une
simple A4.
L’organisateur prend la parole. Il dit des mots
nécessaires dans cet espace public. Des mots qui, pour une fois, au-delà du
désarroi et de la désolation qui accompagnent les mines graves de rigueur quand
on parle de la Syrie, désignent les coupables de ce carnage. Le problème, c’est
que ceux qui sont là pour les écouter savent déjà désigner les coupables depuis
longtemps. Les autres, la foule qui passe, le brouhaha indécent du monde qui
continue de tourner, ne s’intéressera à la Syrie que si on parle de la barbarie
de Daech, comme le négatif du cliché de l’Occident civilisé. Comme si cette
barbarie-là - réelle et indigne - parce qu’elle nous fascine et est censée nous
parler de nous – en creux – devait en éclipser toute autre ; celle d’un
tyran (responsable de 80% des quelque 500 000 victimes de ce conflit) qui a
commencé par torturer des gamins[1]
quand il a senti le vent tourner et a continué, maintenant aidé par son allié
russe aux méthodes de caïd mafieux, en massacrant sa population. Aujourd’hui, c’est Alep qui en fait les
frais. Prise dans un tel déchainement de violence à l’égard des civils[2]
que tous les observateurs à l’unanimité le qualifient d’inouï, le comparant à
Guernica et aux pires crimes de guerre du régime nazi, Alep crie à l’aide. Mais
l’aide ne vient pas. Le monde est sourd de son propre brouhaha. Ce brouhaha du monde qui passe, je l’entends
distinctement. Des jeunes adultes, la toute petite vingtaine, passent. Visant
le calicot, l’une d’entre eux s’interroge « Mais c’est qui,
Aleppo ? ».
Un monsieur est là avec sa fille. Il est
Syrien. Réfugié, probablement. Je suis là, debout avec ma pancarte et ma
bougie. Je ne fais rien d’autre qu’être là. Il me regarde. Je le regarde,
désolée de notre impuissance collective. Il me dit simplement «merci ». Entre
la honte de l’imposture d’un merci si peu mérité et l’admiration face à la
force tranquille pleine de dignité de ce monsieur, je lui rends son sourire
grave avant de suivre le mouvement de dispersion lente du rassemblement. Ce
merci-là, ce visage-là me suivent depuis dimanche. Ce monsieur n’a pas vu en
moi une militante impuissante du dimanche. Il n’a pas vu en moi la citoyenne
d’un état qui n’a pas le courage de se prononcer clairement contre les crimes
de Bachar El Assad et de Poutine. Il n’a pas vu en moi une occidentale qui
regarde sans rien dire Obama et l’Europe manquer à tous les devoirs de ceux qui
vendent leur rêve de civilisation des Lumières. Il a seulement vu un être
humain qui était là, debout, avec lui, pour dénoncer de graves atteintes à
l’humanité. Il m’a ramenée à ma responsabilité d’être humain. Cette
responsabilité est à la fois individuelle et politique ; elle touche à un
conflit aux implications complexes, mais elle se résume en fait à un choix
simple.
Rien de ce que nous faisons n’a de sens si nous
perdons la valeur repère. Cette valeur, c’est la vie et l’humain. Le choix est
simple : sommes-nous prêts à défendre la vie humaine ? Ce choix est à
la portée de tous ; Citoyens ordinaires sur les réseaux sociaux ou dans
l’espace public, une bougie à la main derrière un calicot ; Journalistes,
humoristes, chroniqueurs et écrivains pour rendre visibles les victimes de
notre lâcheté ou de notre indifférence ; Responsables politiques qui
peuvent dénoncer sans ambiguïté les coupables et forcer ceux qui en ont les
moyens à imposer (militairement s’il le faut) une zone de non-survol pour
protéger les civils. Il y a des choses à faire, pour tous les gens de bonne
volonté que j’ai la faiblesse de croire majoritaires. A commencer par répondre
à cette question ; « C’est qui Aleppo ? C’est quoi
Aleppo ? ». Aleppo, c’est un appel à l’aide qui nous met face à un
choix très simple ; celui d’être ou non des êtres humains debout.
[1] Pour rappel, bien avant
d’être infiltrée par des groupes radicaux qui ont profité du marasme et de
l’inaction, la révolution syrienne est née d’une indignation légitime exprimée
pacifiquement des mois durant et réprimée dans le sang. L’étincelle de cette indignation
fut l’arrestation et la torture de quelques gamins, à Deera, qui, inspirés par
le printemps arabe, avaient tagué sur le mur de leur école en 2011 « Ton
tour arrive, Docteur », référence claire à la formation première de Bachar
El Assad ; ophtalmologue.
[2] Les civils, dont beaucoup
d’enfants, sont victimes de ces bombardements qui tuent et mutilent jusque dans les hôpitaux, les
marchés, les écoles et même, « grâce » à l’usage de bombes interdites
par toutes les conventions internationales, jusqu’aux habitants terrés dans
leurs abris souterrains.
Encore bravo, Pauline ! Il est "super", ton blog !
RépondreSupprimer