Depuis des mois, on en parle
épisodiquement… Le remplacement des cours confessionnels et de morale est un
cheval de bataille de certains politiques dont les médias se font régulièrement
la chambre d’écho. Il n’y a que rarement un vrai débat puisque les arguments
entendus dans la presse sont le plus souvent ceux des partisans de la réforme.
Pour l’opinion publique, face à ces velléités de changement, c’est le grand
silence, l’absence d’arguments crédibles pour garder ces reliques du passé…
Pourtant, bien consciente que, dans les
médias, il est plus difficile de vendre de la nuance que de la polémique,
l’enseignante que je suis voudrait seulement faire entendre une voix différente
dans le débat sur les cours confessionnels récemment relancé par l’arrêt de la
cours constitutionnelle les rendant facultatifs dans l’officiel.
Certes, le fameux arrêt ne remet pas
directement en question l’existence de tels cours, mais les voix qui s’élèvent
depuis des mois dans la classe politique laissent clairement percevoir à tout
observateur que les réformes rendues nécessaires par l’arrêt seront plus qu’un
simple toilettage cosmétique et qu’il s’agira plus vraisemblablement d’un
remplacement de ceux-ci par des cours de citoyenneté, de philosophie ou – au
mieux – d’étude du fait religieux. Or, même si je reconnais la nécessité de
recadrages ou de clarifications (en ce qui concerne la formation et le
programme des professeurs de religion islamique, par exemple) j’ai la
conviction profonde que, si tel est le cas, nous aurons tous beaucoup à perdre.
La neutralité,
une dangereuse chimère
A la base de tout le débat qui nous
occupe, il y l’idéal de la neutralité de l’enseignement. Elle est vue comme
nécessaire pour protéger nos têtes blondes de dangereux maîtres prosélytes.
Autant le dire tout suite ; la neutralité n'existe pas... L'école est, et a
toujours été, un vecteur des principes et des valeurs qui sous-tendent notre
démocratie : ce n'est pas de la neutralité et c'est tant mieux. La neutralité à
tout-va dans tous les domaines accouche du relativisme. Si il devient tabou de
proclamer certaines choses et de faire des choix, on accepte implicitement que
c’est parce que tous les choix de société se valent. C’est faux. L’Europe en a
fait les frais au siècle dernier et certaines lois restreignant la liberté
d’expression sont là pour nous le rappeler. Du relativisme éclosent toutes
sortes de discours décomplexés dangereux. Si on admet que tout se vaut,
libérons donc la parole antisémite, raciste ou islamophobe : ce sont des
opinions. Ma conviction est que l’école a là un rôle à jouer en rappelant un
certain idéal du vivre ensemble ; un idéal qui n’est pas neutre.
Ainsi, le cours de religion – qui est le
seul dans le viseur des obsessionnels de la neutralité - n'est pourtant pas le
seul à proposer une vision du monde... Enseigner l'histoire, c'est prendre
parti, analyser des textes argumentatifs en français, c'est prendre parti,
parler de certains comportements humains dangereux pour l'environnement en
sciences, c'est prendre parti, parler des inégalités en géo, c'est prendre
parti. Et alors ?! Si la société ne prend plus le temps de fournir aux jeunes
les repères et les valeurs sur lesquelles elle se fonde, elle se prépare un
avenir bien triste.
La laïcité à la
française n’est pas belge
Si le questionnement chez nous évolue
dans le sens d’un écartement de tout signe convictionnel de la sphère publique
(et scolaire en particulier), c’est parce que notre débat est ensemencé (pollué
?) par des concepts, des valeurs et des choix sociétaux français. Depuis
toujours, la France s’est construite sur un modèle très centralisé et reposant
sur une grande homogénéité linguistique et culturelle de la population. La
France est ainsi (à l’opposé par exemple du melting pot américain) un pays de
tradition assimilationniste, même si ce modèle est parfois mis en difficulté
dans l’Hexagone aujourd’hui. Notre petite Belgique, quant à elle, avec ses
populations aux sensibilités, aux langues, aux perceptions diverses, est la
terre du compromis et de la société pluraliste. Ce modèle est ancré dans notre
histoire et a donné entre autres des compromis tels que le pacte scolaire.
Notre pays n’a jamais choisi la laïcité à la française qui masque les
différences derrière un idéal républicain ; il a toujours opté pour la synthèse
et le compromis entre les différentes sensibilités qui ont toujours eu droit de
cité dans l’espace publique. Pourquoi vouloir aujourd’hui trahir ce que nous
sommes pour importer des petits bouts du modèle français qui, par ailleurs,
montre lui aussi certaines limites ?
Des cours qui
suscitent des fantasmes
Ceux qui récriminent face au cours de
religion le font le plus souvent sur base de fantasmes ou de souvenirs anciens
et non sur base des programmes et de ce qui se fait vraiment... D’aucuns
voudraient remplacer ce qu’ils prennent pour du catéchisme par de l’éducation à
la citoyenneté et de la philo. On fait déjà de la citoyenneté au cours de
religion. On fait déjà de la philo en religion. Pour rappel, le programme
actuel du cours de religion catholique c'est tout d’abord susciter le
questionnement existentiel en se basant sur l'actualité ou les questions des
élèves ; montrer ensuite ce que les
autres religions et toutes les disciplines humaines (philo, psycho, sciences,
démographie, géopolitique, sociologie, etc) ont à dire sur la question ; et
enfin seulement PROPOSER le point de vue du christianisme sur le questionnement
existentiel de départ en se basant sur l’analyse et l’exégèse des textes
bibliques, les rituels (dont on rappelle seulement le sens) ou les
personnalités qui se sont engagées pour cette cause. Nul besoin pour l’élève
d'adhérer ; juste de comprendre et de pouvoir réexpliquer. Mes élèves peuvent
donc être athées et le revendiquer, ils ne seront pas pénalisés, évidemment. Je
suis plutôt ravie qu'ils aient un avis éclairé sur de telles questions au lieu
de les éluder en se laissant étourdir par les futilités du quotidien.
Champ libre aux
intégristes
A l’heure des inquiétudes de la société
face aux récents événements, je ne suis pas certaine que laisser le discours
religieux au premier fanatique venu dans la rue soit la solution miracle face à
la montée du radicalisme. On peut décider de supprimer les cours confessionnels
de l'école, mais le religieux ne va pas disparaître dans la société. Il sera
seulement à la merci des premiers allumés venus, sans contrôle de qui que ce
soit, sans garde-fou. Ce seront des prédicateurs sans formation qui
galvaniseront leurs jeunes ouailles autour de leur vision intégriste de la religion.
Les jeunes (surtout s’ils se sentent exclus de notre société, surtout s’ils
sont fragiles de par leur origine sociale) seront d'autant plus naïfs qu'ils
n'auront aucune instruction religieuse préalable qui leur permette d'avoir un
point de vue critique et éclairé sur la question. Bienvenue au retour du
créationnisme et à l'enracinement de lectures littéralistes des textes sacrés.
Bienvenue dans l’ère du nouvel intégrisme. Je crois qu’on n'a malheureusement
pas fini d'être tous Charlie...
Des racines et
des ailes
Avec la disparition des cours de
religion, c'est tout un pan de connaissances qui risque de disparaître de la
culture collective. L'occident semble être le seul coin du monde à montrer une
telle obstination à gommer ses racines. Comprendre la philosophie, la vision du
monde et de l'homme qui découlent du christianisme, c'est comprendre qui nous
sommes. On peut éliminer tous les cours de religion qu'on veut, on peut
renommer nos universités, désacraliser nos églises ou renommer les congés si on
veut, mais on ne gommera pas les mille ans d'histoire qui ont pétri l'occident
et en ont fait ce qu'il est. Comprendre (nul besoin d'adhérer à ses dogmes) la
religion qui a façonné l'occident, c'est aussi comprendre qui nous sommes ;
c’est choisir ce que nous voulons faire de nos racines à l’heure de déployer
nos ailes.
L’illusion d’un
choix libre sans proposition
Il est de bon ton, aujourd’hui, de
proclamer qu’on souhaite laisser aux générations futures le soin de faire leurs
propres choix sans leur imposer notre vision des choses, et donc sans leur
proposer une vision du monde trop partiale. L’intention est louable, mais le
but est manqué. Eduquer c’est faire des choix, proposer des repères et donner
au jeune les moyens de se positionner. Sans proposition, il n’y a pas de
questionnement, pas de choix possible et donc pas de liberté. Certes, nous
n’enfermerons pas les jeunes dans nos choix si nous ne leur proposons pas nos
options personnelles, mais nous les condamnerons à un laisser vivre stérile, à
un non-choix, à une absence de remise en question de la société dans laquelle
ils baignent. Une sorte de train-train quotidien sans perspective ni débat. Or,
proposer des valeurs repères et donner au jeune les moyens de se positionner
dans un choix éclairé, c’est exactement la mission des cours confessionnels et
de morale…
Deviens qui tu
es
Proposer un cours d'étude du fait
religieux ou d'histoire des religions, ou encore un cours d'histoire de la
philo ou enfin un cours de citoyenneté, ce serait manquer un rendez-vous
important avec les générations qui vont construire la société de demain. Dans
une société qui ne propose plus rien au point de vue du sens, dans notre
sacro-sainte société de consommation, plus personne ne proposera aux jeunes de
se questionner sur le sens, sur les valeurs et les fondements de leur
existence. Or, même si la société nous laisse croire que ce questionnement est
facultatif, je pense qu'il finit par rattraper chaque être humain à un moment
ou à un autre. Et lorsque plus personne dans la société ne propose quoi que ce
soit dans ce domaine de recherche de sens, ce sont les idéologies radicales qui
gagnent, c'est le djihadisme qui prend du terrain, c'est le nihilisme qui se
taille la part du lion... Allons-nous laisser aux seuls djihadistes le monopole
du sens à donner à sa vie? A qui laisserons-nous le champ libre pour
questionner l'individu sur le sens ? C'est pour cela aussi qu'il est important
à mes yeux de proposer un cours qui n'est pas 'neutre' avec un enseignant qui
affiche ses convictions et sa vision du monde. C'est en se confrontant à des
adultes qui questionnent l'humain et proposent du sens, sans jamais l'imposer
évidemment, que les jeunes vont dessiner leur propre vision de la vie. On ne se
positionne que face à des gens qui existent dans leurs valeurs, qui vivent
debout et prennent le temps de questionner leur action. Il faut à chaque jeune
des repères pour se construire ; des gens qui ont pour attitude une
fondamentale bienveillance et pour objectif de dire à leurs élèves "Voici
qui je suis ; deviens qui TU es". Autant que l’action de ces personnes
soit circonscrite par le cadre institutionnel de l'école, là où les programmes
sont des garde-fous qui protègent les jeunes, plutôt que de laisser le champ
libre à des gourous qui, dans la rue, sur internet ou dans les médias, leur
diront "Deviens qui JE suis".
Bravo, Pauline ! Parfaitement argumenté ! Je suis d'accord avec toi sur TOUS les points
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RépondreSupprimer(Fausse manœuvre : j'avais publié deux fois le même commentaire. Sorry.)
RépondreSupprimerTrès belle réflexion
RépondreSupprimerTrès belle réflexion
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