jeudi 25 août 2016

Les gens sur la photo...

Elle, assoupie. Elle fait des choix ; se déshabille d’abord, puis finalement quitte la plage. Peu importe ce que nous pensons qu’elle aurait pu faire ou dû faire ou ne pas faire, porter ou ne pas porter. Elle est digne. Elle est sujet. Elle fait des choix, même quand elle subit. Elle n’est pas LA femme ; elle n’est pas la femme soumise, la femme qu’on voile, ni bien sûr la femme objet, la femme qu’on dévoile, la femme désir de l’homme. Elle n’est pas LA femme car elle n’est pas un concept. Elle est une personne ; elle est un semblable.

Eux. Nombreux, armés, en uniforme estival. Ce qui frappe tout de suite, c’est l’indécence de leur position. Oui, il est bien question de décence et d’indécence dans cette affaire, mais ça n’a rien à voir avec une tenue de plage. L’indécence c’est de la laisser, elle, au niveau du sol et de rester debout, autour d’elle, sans même prendre la peine de se baisser pour lui parler, pour la regarder dans les yeux, pour voir un être humain. Evidemment, c’est cet arrêté qui est stupide et eux ne font que leur boulot. Peut-être, mais j’imagine qu’on ne leur demande nulle part de ne pas regarder en face la personne qu’ils verbalisent.

Les autres. Ils sont juste autour. Ils sont le décor. Ils regardent ; curieux - sans doute, médusés  - peut-être, révoltés intérieurement - je n’ose même plus l’espérer. Ils ne se lèvent pas, ne s’interposent pas, ne demandent pas de compte à ces gardiens de leur paix, ne quittent pas le théâtre de cette mascarade indigne et absurde. Ils n’ont pourtant pas un flingue sur la tempe en cas de révolte, une verbalisation pour trouble de l’ordre public, tout au plus… Cette phrase de Brel me revient « le monde sommeille par manque d’imprudence ». En tout cas, les spectateurs, par peur ou non, par manque d’imprudence ou non, laissent faire. Comme dans le poème ‘First they came’ de Niemöller, ils laissent faire en ne sachant pas qu’ils pourraient en fait très bien attendre leur tour. Ne nous leurrons pas ; derrière un écran, nous sommes tous spectateurs, nous aussi. Moi la première. Comment sortir de ce rôle ? Par quel boycott, quelle manifestation, quelle publication, quelle pétition, quelle action pourrions-nous sortir de ce rôle ? Comment sortir de ce décor pour devenir à notre tour des sujets qui font des choix, même quand ils subissent ?

Il ne s’agit pas de lois, il ne s’agit pas de laïcité, il ne s’agit pas de respect de la femme (comme si c’était un concept désincarné), il ne s’agit pas de terrorisme, il ne s’agit même pas de prosélytisme ; il s’agit d’êtres humains. Ceux qui agissent, ceux qui regardent, ceux qui voient l’humain en l’autre et ceux qui n’ont que des symboles et des étiquettes dans les yeux pour leur brouiller la vue. Lorsqu’on n’est plus capable de voir en l’autre un semblable, lorsque son humiliation ou la violence à son encontre n’a plus rien d’insupportable à nos yeux, lorsqu’on ne s’identifie plus spontanément à l’autre et que plus aucune contagion émotionnelle de sa détresse ne nous affecte plus, c’est là que les pires heures de l’histoire font doucement leur nid. Là, sur la douce chaleur du sable de la méditerranée, au milieu de touristes spectateurs, la violence fait son nid sans coups, sans blessure et sans sang. Pour l’instant.

Cette photo me fiche la trouille.


Pauline Thirifays

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